Ce que les adultes ne voient pas, les enfants, eux, le voient
Un couple, la trentaine. Ils sont seuls, l’air las et les yeux creusés. A l’extérieur, les lampadaires commencent à s’allumer. Dans la pièce voisine, des clameurs : rires, chamailleries, négociations, cris. Leurs enfants profitent des précieuses minutes avant le coucher pour s’ébaudir dans une pièce, ce doit être la pièce à vivre. Des pièces de puzzle et des cubes éparpillés sur le sol, des ébauches de dessins réduites en boule ou en confettis, un morceau de pain mâchouillé, deux ordinateurs portables encore allumés… pas de doute, cette pièce où l’on mange, joue, travaille tout à la fois porte bien son nom.
Revenons à la cuisine. Nous y retrouvons notre couple qui se repaît du calme retrouvé. Un dernier coup d’éponge efface toute trace du feu d’artifice de riz, petits pois et dés de jambon. Le dîner a été animé.
Lui, rompant le silence : « Si cela avait été moi, comme j’aurais kiffé être en confinement avec mes parents !!! »
Elle, le regard lointain : « Sans doute. »
Il renchérit : « Plus d’école, rester à la maison avec les parents, jouer avec les frères et sœurs dans le jardin. »
La jeune femme, prise au jeu, commence à rêver à voix haute : « C’est vrai, à l’époque à l’âge des enfants, j’aurais eu un petit jardin où courir un peu ; pas d’école, pas de nœud au ventre en pensant aux problèmes de maths à résoudre… » ; mais cinglant, le rappel à l’ordre sonne, pragmatique : « Oui, mais aujourd’hui, depuis trois semaines, nous vivons, dormons, télétravaillons, tentons de faire la crèche et la classe dans 59m2, nous chronométrons nos sorties dans la cour de l’immeuble – quand cela ne nous est pas reproché par les voisins. Rien que d’y penser, j’en ai le ventre noué. »
D’un côté rester productif à voilure réduite, assurer la continuité pédagogique sans les talents de la maîtresse, garder un peu de disponibilité pour gérer les ascenseurs émotionnels des enfants (et les siens aussi !). De l’autre, vivre l’intensité et la richesse des moments partagés, observer les progrès quotidiens et garder en mémoire le meilleur dans ce quotidien chaotique et exigu.
Nos enfants, qu’en diront-ils, lorsque dans quelques années, ils se remémoreront ces semaines ? Quels souvenirs garderont-ils ? Quelle relation parent-enfant cette situation imposée aura-t-elle forgée ? Nous, les adultes de ce temps révolu où rester chez soi est une question de vie ou de mort, probablement évoquerons-nous ce souvenir avec amertume. Nos enfants, du haut de leur enjouement, ne pouvons-nous pas espérer qu’ils n’en retiennent que la richesse et s’exclament : « J’ai totalement kiffé être en confinement avec mes parents !!! »
Des années plus tard, un couple.
Lui, avec nostalgie : « Tu te rappelles, le confinement ? »
Elle, sérieuse : « Oui, une épreuve terrible m’a raconté Maman. » Puis esquissant un sourire : « Le ‘conoravirus’ comme je disais. Je me rappelle… la pisci-douche, mon anniversaire des 5 ans, les vidéos avec toute la famille. Je me demande quand même comment ils ont réussi à nous supporter ».
Quelles que soient les circonstances, vous êtes les pères et les mères de la situation. Grâce à vous, la parentalité est une richesse. En leur temps et mystérieusement, vos enfants – nos enfants – sauront mettre au jour les trésors que nous pensions bel et bien enfouis.
France Argouarc’h Gestion de projets RH, salariée-parent